La tension est palpable. Les fronts se plissent, les muscles se tendent. La tige d’amourette est positionnée minutieusement dans l’étau, gainée de sa collerette d’acier qui la protégera pendant le cintrage. 

Naissance d'une canne

Sous nos yeux se révèle le tour de force extraordinaire duquel nait la courbe si singulière d’une anse de canne. Dans quelques secondes, aux crissements des nervures et à la résistance ressentie par l'opérateur, Cédric, le gérant, pourra statuer sur la qualité des échantillons de la précieuse amourette qu’il teste ce matin.
Cette fois-ci, ils sont bons.
Nous observons la scène en silence, subjugués par ce bras de fer entre l’homme et le bois. On y apprend que parfois ce dernier se libère de son étau et qu’il vaut mieux ne pas être sur la trajectoire des rejets métalliques projetés par ce relâchement soudain. Je décide de reculer de quelques pas.

Bois dormant

Un deuxième moment de contemplation. Des dizaines de carrelets* attendent patiemment leur métamorphose. On effleure la matière brute avec précaution : l’ébène, le macassar, la palissandre, le bois de rose, le bambou  de  Java.
* Règle de bois de longueur variable dont les quatre faces sont égales
L'approvisionnement en essences rares n’est pas une mince affaire. Surtout lorsqu’il s’agit de quantités limitées et de billes de haute qualité.

L’art et la matière

Si le fût, qui est généralement de bois, offre une large diversité  de rendus, l’adjonction du pommeau démultiplie les possibilités  de combinaisons. Ils se font de porcelaine, sculptés de métal  ou de résines. 
Ou parfois même de matières organiques plus surprenantes : de la corne de buffle, des ramures d’élan ou de cerf, de l’ivoire véritable ou de l’os de cétacé. 
Et pour les commandes les plus prestigieuses, les écailles, les peaux et les cuirs apposent une patte luxueuse à l’ensemble. La demande sur ces pièces d’exception est un marché secret, presque invisible, qui se joue entre les collectionneurs et les intermédiaires diligentés par des clients fortunés. 

La Galerie Fayet

La Galerie Fayet à Paris est un point de passage de ces émissaires en quête de cannes de prestige. La famille Fayet en a fait une vitrine de son savoir-faire après avoir racheté la boutique emblématique des frères Segas en 2015. Une acquisition motivée non pas par des perspectives financières, mais surtout pour préserver la collection exceptionnelle qu’elle abrite. La sauvegarde de ce patrimoine leur paraît évidente, presque obligatoire. 
Mais plus que des cannes, c’est un métier d’art reconnu au patrimoine mondial de l’Unesco qu’ils maintiennent courageusement debout. Pour y réussir, il a fallu diversifier, un choix de raison qui assure  à l’entreprise les moyens de continuer son activité historique,  et c’est tant mieux. 
L’âge d’or de la canne est bien révolu mais on aimerait secrètement que cela redevienne un accessoire de mode. Il suffirait de peu de   chose, une cérémonie, une figure mondiale du rap et une canne Fayet. Les  comptes Instagram s’affoleraient, la tendance se propagerait. 
Vivement que ça arrive.

Un siècle de Cannes Fayet

1909
Création de l’entreprise Fayet-Rousseau à Thiers. 
Production de poignées et manches pour parapluies, ombrelles et cannes à main.
1936
Fayet et Rousseau se séparent. L’entreprise devient Fayet Boyer, association familiale. Les cannes ne font plus recette, la production se concentre la poignée de parapluie en bois courbé.
1964
Le parapluie connaît à son tour une baisse forte de la demande. L’entreprise se renomme les « Établissements Fayet Roger » et      revient à son premier métier : la canne. 
Roger Fayet développe une approche plus personnelle de l’objet. Il achète, découvre, rassemble des cannes insolites et précieuses au gré de ses voyages. 
2015
Amandine, la fille de Jean-Luc, et Cédric son mari deviennent co-gérants. La quatrième génération de Fayet est en place. L’activité se diversifie pour préserver le savoir-faire et l’activité traditionnelle.

En savoir plus

Merci à Amandine et Cédric pour le temps consacré à notre équipe.